17 septembre 2015

Récit d'une journée particulière

Il y a des jours comme ça. Pour nous, c'était hier.



Après une nuit perturbée par le tournoiement incessant de Ti'Amaraa sur son ancre du fait d'une météo très moyenne à Scotland Bay,  nous profitons d'une accalmie au petit matin pour tracer en annexe vers Chaguaramas et y faire l'avitaillement de la quinzaine. Nous laissons notre cata avec un léger pressentiment compte tenu des rafales. Mais bon,  quand faut y aller, faut y aller.
On ne lambine pas.
Courses ok, salut aux copains sur place ok. Allez, on rentre.

Acte 1 :
Sur le retour,  notre cher hors-bord, naviguant dans les eaux chargées de détritus de Chagua, se prend un bout et un sac plastique dans l'hélice. 
Démontage,  Desemmelage ... bercés par les vagues des water taxis qui nous frôlent plein gaz.
Ça,  c'est fait. 

Acte 2 :
Nous retrouvons notre Ti'Amaraa à sa place toujours en version 360° mais sain et sauf. Oufff. Vive notre ancre surdimensionnée ! (Delta 32 kg)
Transfert des courses
Préparation du bateau au départ
Zou,  on lève l'ancre.
"Heuuu,  minou ... là... c'est pas notre ancre qu'on a levé.  Viens voir"




Noué soigneusement à notre chaîne, c'est bel et bien un bloc de corail d'une bonne centaine de kilos que notre vaillant guindeau nous a remonté. 
Il nous semblait bien que ça forçait un peu mais vu les conditions ...
Nous remercions encore une fois Lagoon de ne pas avoir megotté sur le matériel. 
Alors, on en fait quoi du toutim maintenant ?
On tente de donner du mou à la chaîne,  de secouer l'ensemble. Mais vu le poids du pépère, le Cap s'y arrache les bras. Rien n'y fait.
Quand on vous dit qu'il faut amener TOUS vos outils !
La grosse artillerie est de sortie pour la première fois en 17 mois : masse et hache !!! Va y avoir du "massache" à l'avant !!
Après de longues minutes de coups répétés, tête en bas, orteils incrustés dans les mailles du trampoline,  le Cap pulverise le molosse accroché.
"T'es kkro fort mon Cap!"
"Ouai mais là,  j'ai un peu mal au bide. Bon, on y va"

Acte 3 :
Libre, enfin libre ! Ti'Amaraa prend sa route vers notre mouillage paisible préféré Chacachacare. 
Dame nature,  comme pour nous récompenser de nos efforts, nous fait croiser le chemin d'une somptueuse raie manta de plus de 3 mètres d'envergure. Elle virevolte plusieurs fois dans les airs devant le bateau. Nous sommes scotchés par le spectacle : une première depuis que nous naviguons. 
Notre bonheur est toutefois de courte durée car un vilain grain nous talonne.

Acte 4 :
Notre zone de mouillage préférée est libre...cool... mais balayée par le vent en rafales et la pluie. Pour info, on mouille à 40 mètres du bord avec bout à terre et un ponton béton sur tribord qui nous attend les dents en avant.
Le calage de Ti'Amaraa à sa place fut des plus sportifs mais sans encombre.
Bref, ça c'est fait aussi. 
On se dit que l'on a notre compte pour la journée.
Nous dégustons à sa juste valeur une fin d'après-midi calme dans notre petit paradis seuls sous un soleil revenu.
Un petit dîner aux dernières lueurs du jour et d'un commun accord nous filons dans notre coque pour un repos bien mérité.

Acte 5 :
22h30 par une nuit sans lune.
Re situons un peu le contexte :
-on est morts et on dort à poings fermés depuis 2 heures
- nous sommes l'unique bateau de la baie
- l'île de Chacachacare est la dernière avant la péninsule de Paria qui est l'un des endroits les plus dangereux du Venezuela, réputés pour piraterie et trafic de drogues.
- l'île est déserte. Les premières habitations sont à plusieurs miles nautiques
Bien, vous avez l'ambiance ???

"Wohooo ...WohOOOOO"
Des voix d'hommes crient au ras de notre coque babord et semblent nous appeler.
Le Cap bondit tel un suricat et passe la tête par le hublot de pont.
La Cap, moins courageuse,  colle son nez et ses yeux endormis sur le hublot de coque.
Une Nuit sombre
Deux Bateaux sombres
Trois Hommes sombres
Sans se le dire, on pense tous les 2 : "Putainnng ! Des pipi ... des pipi ... des piwaaaaates !!"
Soudain le mur des certitudes des irréductibles gaulois se fissure.
Léger moment de flottement dans la coque propriétaire pour retrouver nos fringues et nos esprits sans trop de lumière bien sûr puisque les piwwates sont pas loins de la coque. 
On sort ... même pas peur ou presque ... De toutes façons,  que faire ?

Premier round : Observation
Nous sommes face à 2 barques type lancha de gofast (transport de drogue rapides inter-iles) sans lumieres dont une de plus de 10 mètres est équipée d'un gros V6 de 250CV capot démonté. L'autre plus petite motorisée par un vieux mariner qui tinte telle une cocotte minute remplie de petites cuillères, semble vouloir remorquer la grosse en vain.
Le tout dérive contre notre coque.
Est ce une mise en scène ? Un piège ? Tout tourneboule dans nos têtes bien réveillées pour le coup.

2ème round : Explication
Les gars nous disent être en panne et avoir besoin d'une batterie.
Bonne nouvelle : ils parlent un anglais typiquement Trini et pas un hispano english version vénézuelien.
Mauvaise nouvelle : ils s'accrochent au bateau. 
Dans la tête du Cap : " Le premier qui monte. Il en prend une. Ça tombe bien vu la journée ...Chui en forme"
Dans la tête de la Cap : " "Putainnng ... faut pas qu'ils montent"
On fait mine de ne pas comprendre ce qu'ils nous demandent.
"Nous anglais mauvais. Pas batterie.  Pas comprendre"

3ème round : Déception
C'est ce que nous lisons sur leurs visages alors qu'ils lâchent Ti'Amaraa et essayent de se deshaler de la coque babord tant bien que mal et en prenant soin de ne pas abîmer le cata.
Nos jambes flageollent toujours un peu mais le moral remonte ils semblent bien innofensifs et dans la merde avec leur satané moteur.

4ème round : Réparation
"Wohooo WohOOOOO"
Là, c'est nous qui les rappelons.
Alors qu'ils dérivent dangereusement vers les coraux, nous leur lançons un bout pour les reprendre à couple, le flanc protégé par nos pare battages.
Le Cap sort la grosse artillerie ... électrique ce coup-ci. Décidément y'a des jours et des nuits comme ça.  Quand on vous dit TOUS vos outils !
Démontage de leur batterie
Récupération de leurs câbles pour connection à notre jeu de câble à pinces qui voit lui aussi le jour pour la première fois. 
Notre batterie moteur étant sous la couchette, nous sommes obligés de nous connecter directement sur le moteur. 
Démontage de tous les planchers de la cale moteur (et du bazar qui va avec)
Branchement au moteur babord et Démarrage
Les gars ont retrouvé le sourire. Ils tentent de démarrer leur V6. Mais compte tenu de la section des câbles,  les pinces chauffent mais ne délivrent pas la puissance nécessaire.
Plan B :
Test de leur batterie au multimètre. Effectivement elle est un peu faiblarde. C'est pas du cinéma tout ça. 
La décision est prise de recharger leur batterie avec nos pinces via notre valeureux Yanmar débrayé à 1500 tours.
Les minutes s' égrènent, les ampères passent et le courant entre nous aussi.
Ils nous expliquent alors le motif de leurs activités nocturnes. La pêche, ça nourrit plus son homme. Donc ils piègent illégalement à Chacachacare quelques oiseaux tropicaux qu'ils revendent à Trinidad sur le marché à priori bien côté des animaux de compagnie. 
On est loin de la cocaïne de Pablo Escobar. Ils nous montrent même la petite cage avec la dizaine d'oiseaux. réfugiés. 
On comprend mieux pourquoi ils ne voulaient pas se faire prendre à la dérive par les gardes côtes.

5ème round : Congratulations
Une bonne demi heure de papautage plus tard, la batterie est déconnectée et testée. La tension est bien remontée. 
Ils la réinstallent à bord et vroummmmm les 6 cylindres démarrent au quart de tour dans un bruit assourdissant. 
Ils sautent de joie !!!
"You are the Boss, my friend!"
"One million thanks !"
Le Cap est pas peu fier d'avoir sorti tous ses outils.
Nous avons 3 nouveaux copains qui nous attendent à Chaguaramas pour faire la fête. Nous immortalisons le moment avec leur accord; tous à la joie de "tout est bien qui finit bien" ... chacun à son niveau.
Ils peuvent repartir et nous sommes soulagés : ce n'était pas des pipi...des pipi...des piwaaaaates !
Le mur des certitudes gauloises est replatré. Il ne faut pas voir le mal partout.
Être méfiant et prudent certes, mais ne pas verser dans l'excès. 





Acte 6 : Morale du jour
Quelquesoient les pépins,  gardez le moral. 
Pas de panique.
Le stress et la peur sont de mauvais conseillers.

Ps : ...et même si on se répète un peu ... prenez TOUS vos outils. 

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