4 février 2019

Dans le noir...

Dans le noir, immobiles, nous écoutons les bruits du silence.
Dans le noir, humides, l'eau qui se déverse sur nous n'est pas salée.
Dans le noir, subjugués, nous tentons en vain d'apercevoir le ciel étoilé.

Ceux ne sont pas les bruits de Ti'Amaraa.
Ce n'est pas l'eau du Pacifique.
Notre horizon pour cette nuit est vertical.

À la lueur de nos frontales, nous suivons notre ami Tafeta sur les pentes escarpées de Tahuata.
Ne pas parler, surtout ne pas faire de bruit, traverser la nuit en mode furtif, écouter, débusquer la bête.

Nous avons été invités à une chasse aux cochons marquisienne.
Nous sommes embauchés en qualité de porteurs. Sur le dos au départ : la logistique eau, vêtements de pluie... Sur le retour si tout se passe comme prévu les pièces de viande.

Nos amis nous ont prévenu. Le Dress Code doit être discret, efficace et pas fragile.
Chaussés de nos chers godillots qui nous ont permis de tutoyer l'Everest, nous sommes fin prêts. À nous voir, tout de noir vêtus, on donne plus l'impression de partir braquer une banque que de chasser la viande pour le four marquisien de dimanche midi.

Nous pénétrons dans cette nature escarpée et silencieuse. Voir nos amis si concentrés nous impressionne. Eux qui ont toujours un sourire aux lèvres et jamais à court de plaisanteries ont changé de registre.
Oubliés les sentiers, les cairns ou les peintures GR, on tape droit dans le dur, dans le vert et le dévers. On grimpe quelquefois même à 4 pattes à la recherche de la bête.
Notre ami nous précède. On a un peu l'impression de jouer à 1,2,3 Soleil. Il avance, nous aussi. Il s'arrête, on s'arrête. On chemine le plus silencieusement possible les oreilles en éveil. ''Écouter cochon''.
Le premier que l'on entendra fureter dans le bois, nous passera en contre bas. Trop loin. Zut... On est montés trop vite.
Tafeta décide alors d'explorer les alentours et nous demande de l'attendre.

Pour dépeindre la scène, il fait nuit noire. Nous sommes donc tous les deux quelquepart au beau milieu des pentes escarpées de Tahuata à attendre un grand balèze tatoué jusqu'au crâne armé d'un fusil chargé.
Ce pourrait être la 4ème de couverture du dernier thriller à la mode. Il s'agit juste d'un épisode de plus du roman de notre vie.

Bonne nouvelle : la clé de la voiture est dans notre sac à dos.
Mauvaise nouvelle : on ne sait pas retrouver la voiture.

Et puis, pour corser le tout, v'la la pluie qui s'invite à notre escapade nocturne bucolique. Assis sur notre caillou pointu, recroquevillés dans nos imperméables, nous pourrions avoir hâte de retrouver le confort de notre cabine... Même pas. Contre toute attente, nous nous prenons au jeu du chasseur/chassé.

À force de ténacité, en pénétrant plus dans la végétation, notre groupe finira par débusquer un groupe de cochons sauvages.
Nous sommes tous les 3 assis à attendre. En l'espace d'une seconde, un bruit, une lumière, un coup de feu résonne dans l'obscurité.
Il a vu, repéré, allumé, dégainé, tiré. Là où nous avions vaguement entendu un bruit de feuilles écrasées par là-bas.
Nous avons eu juste le temps d'entendre le grognement et d'apercevoir dans le faisceau de la lampe une forme au loin.
Tafeta part en courant vers l'animal.
Nous sommes à nouveau dans l'obscurité de la végétation. À son expression au retour, on comprend que quelque-chose ne va pas.
D'une main, il traîne derrière lui sa prise. Une femelle adulte. À sa grande déception, elle est toute amaigrie. D'après lui, elle vient de mettre bas et ne s'est pas encore '' remplumée. On a raté le mâle. C'était lui le grognement. Il nous a senti et a fait demi tour illico. La femelle a été moins rapide.
Notre chasseur marquisien est déçu. Il s'excuse même auprès de sa victime définitivement endormie.
"Tu n'étais pas la cible."

Nous aurons beau passer encore quelques heures à crapahuter. Rien n'y fera, la pluie se chargeant de nous compliquer la tâche.
Ce ne sera peut-être pas un grand soir de chasse pour eux. Mais nous vivrons ce moment intense de partage avec le sentiment d'être privilègiés en vivant leurs traditions de l'intérieur.

Et même si Madame Cochon n'a pas été du four marquisien aujourd'hui, ne vous inquiétez pas nous ne sommes pas morts de faim pour autant. L'accueil et la convivialité marquisiens ne sont pas des légendes.

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