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3 janvier 2019

Une fin d'année outre-mer

Outre mer... Voyons voir...


La mer, c'est très net. On visualise bien. La mer souveraine. Ce continent d'eau un pays à part entière où la liberté claque au vent.
Modestes humains, nous sommes exactement au milieu, au beau milieu de la masse océanique la plus vaste du monde. Nous sommes aux Marquises, plus précisément sur l'île de Tahuata, qui signifie là où l'aurore s'allume. En zoomant, on aperçoit le coquet village au nom poétique et chantant de Vaitahu signifiant vai, eau douce et tahu allumer. Tout s'éclaire quand on découvre la belle source jaillissante de la vallée. L'or bleu des navigateurs. 
Voilà posé le décor de notre patrie d'adoption pour les fêtes.



Quant à l'adverbe outre, il a pris tout son sens lors de ces fêtes. 
Outre, plus loin. Outre, au delà.


Au delà des standards, au delà de la norme française, au delà des croyances. Le monde semble s'ajuster à nos rêves. Parfois même, il les devance..


Au delà de la France. 
Bien que le français ait été étudié et soit pratiqué par tous, les natifs communiquent entre eux exclusivement en marquisien. 
Langue hermétique pour nos oreilles profanes et nos cordes vocales inadaptées. 
La prononciation aux accents toniques est difficile. Certains mots ont plusieurs sens. 
Par exemple Tai signifie à la fois mer et temps. 
Mata signifie œil, face, direction, cap...
Les prénoms de certains exploseraient tous les scores au Scrabble : Mahakatauheipani, mais appelez moi Mahaka. 
Quant à la France, elle représente une terre bien lointaine et bien différente. Les acteurs tricolores qui défilent depuis des siècles ne sont que de passage. Certains pour évangéliser, d'autres pour éduquer ou soigner. D'autres ont rebaptisé cent fois îles et baies. L'entité de cet archipel est restée. Avec son lot d'avantages et d'inconvénients, de partisans et de détracteurs, les marquisiens ont su tirer leur épingle du jeu en préservant leur culture. 
Papeete est déjà si loin. Si Tahiti était Paris, Tahuata serait Moscou. La ville, la pollution, le bruit, les hôpitaux... Là où tout est payant même une banane !!
Alors, la France... 
On la regarde un peu comme une belle princesse enfermée dans son donjon. Pas insensible à sa beauté et ses richesses. Tout en préférant continuer de jouir d'une vie libre et nature.




Au delà des standards. 
Nous avons eu beau chercher.
Pas l'ombre d'un grand barbu tout de rouge vêtu. 
Pas l'ombre d'un sapin décoré, ni guirlandes, ni lumières. 
Interpellés, nous demandons à nos hôtes. La réponse est simple et efficace. Noël est une période festive plus ou moins rattachée à la religion. La société de consommation, les cadeaux à profusion, tout cela est bien au delà de leur conception. 
Les enfants ne sont pas pour autant en reste. Tout est organisé en amont par l'école et la commune via une kermesse. Chaque famille participe en vendant des produits faits maisons (gâteaux...). Des jeux ''payants'' comme le bingo sont installés. On s'amuse et on participe. L'objectif étant de récolter de l'argent pour le Noël des enfants. 
Ainsi, la commune et l'école offrent le dernier mercredi avant les vacances un grand arbre de Noël où chaque enfant reçoit un cadeau. Un repas en commun est aussi servi à tous les habitants ce jour-là. 
Comment, lorsque l'on habite loin de tout et que l'on vit de ses cultures, peut on offrir des cadeaux de Noël à ses enfants ? Comment ne pas créer des différences lorsqu'une famille a des proches à Tahiti ou en France qui ont les moyens d'expédier des colis ?
Aux Marquises, comme dans certains atolls des Tuamotus aussi, ils ont trouvé une solution nivelant les inégalités de classes sociales. 
Tout le monde respecte cette règle. Même si d'autres cadeaux familiaux sont arrivés pour les enfants, ils sont distribués aussi ce jour là. C'est le jour de fête des enfants, tous à leur joie de découvrir leur présent. Quant au fameux barbu, paraît-il qu'il les effraye. Il faut bien reconnaître qu'il est bien au delà des standards marquisiens ce vieux bonhomme. 
Ainsi, les festivités du 24 et du 25 ne sont plus axées sur les cadeaux mais sur les moments partagés. Noël, c'est la fête d'un village en entier. On peut le passer en famille, ou pas. Sans quand dira t'on... 
Les lueurs des guirlandes sont remplacées par celles rougeâtres des braises des barbecues autour des maisons. Les portes sont ouvertes. 
Libre circulation de bonne humeur.




Au delà du protocole 
Libérés des histoires de cadeaux, les repas de Noël se veulent festifs et participatifs. En plus de 4 ans de voyage, et donc 4 Noël sur l'eau, c'est la première fois que nous sommes invités à le passer à terre. 
Pour la famille de nos amis marquisiens de Moorea, il est inconcevable que nous le passions sur notre bateau éloignés de la fête ambiante. Merci Jeanne & Louis, Tamaru & Va'a, ainsi que toute votre belle et grande famille. 
Accompagnés de nos 2 tontons navigateurs, nous avons donc été invités à partager leur table. 
Et quelle table !! Sans bougies ni décors. La fête est dans la multitude de plats qui ont été cuisinés: bœuf local, poisson cru, poisson grillé, brochettes, cochon sauvage, chèvre sauvage au lait de coco et même... Une dinde qu'ils ont fait venir de Tahiti !!! 
Énorme. 
Sans protocole, sous la protection du manguier et des étoiles, chacun se sert comme il veut, quand il veut, dans l'ordre des plats qu'il souhaite. 
Une fois, trois fois, dix fois... Peu importe. 
Quelqu'un passe dans la rue. Allez zou une chaise de plus le temps de partager une assiette. 
Pas de plan de table. Les familles sont nombreuses. Les barbeucs aussi. Aucune obligation héréditaire. Certains resteront à festoyer à quelques mètres de leurs parents sans venir trinquer avec eux. Impossible de trouver un Noël aussi convivial et libre de tout cliché. On ne se tient pas forcément conversation. On est présents à naviguer du buffet à notre chaise pieds nus. Il fait beau et chaud. Certains hommes ont tombé la chemise.
La bonne humeur se propage sans avoir besoin d'un taux d'alcoolémie avancé. 
Nous ne boudons pas notre plaisir à goûter les mets tous délicieux. Ils apprécient le vin rouge français avec modération. Nous mesurons nos différences, nous nous en amusons, nous nous en nourrissons aussi.


Le pompon restera le caviar local : LE Fafaru.
Le jour où vous serez à proximité de ce plat vous le saurez. 
D'abord grâce à l'excitation ambiante. Petits et grands en raffolent. Mais quel est donc ce plat qu'ils en viendraient presque à se disputer ? 
On nous explique que cette année il a été préparé pour nous : moins fort et avec de l'ail pour adoucir. 
Le fameux '' fond d'ail'' des tontons flingueurs... 
Le Fararu est donc un plat de filets de poissons fermentés dans l'eau de mer pendant une à deux semaines. 
Juste avant la dégustation, les filets sont extraits de l'eau et arrosés de lait de coco... pour '' adoucir'' le goût. 
Un long couplet nous est fait sur l'analogie avec les fromages français. Ça sent fort, mais c'est très bon et vous en mangez, non ? 
Et bien, le Fafaru (prononcez Fafarou) c'est pareil. 
Joker !!! La Cap n'aime déjà pas les fromages français et la fragrance qui s'échappe du bocal ne l'incite, pour une fois, pas à la découverte. 
Ok, dispensée !! Yesssss.... 
La force et la virilité des guerriers marquisiens ne sont pas une légende... Se mesurerait elle à la portion de Fafaru ingérée ? 
Nos 3 capitaines gaulois tentent l'expérience. 
À chacun sa façon d'exprimer le ressenti gustatif. Certainement une intolérance au fond d'ail. 
Nos hôtes en rient encore 😜😂😂




Au delà des croyances
Oublié peut-être dans les civilisations européennes pressées, passé derrière la hotte colorée du vieux barbu, Noël est aussi une fête religieuse. 
Sacré paradoxe de le fêter ici. Nous, français, nous avons fomenté des expéditions, expatriés des missionnaires, forcés ces '' bons sauvages'' à croire en notre Dieu. Quelques générations plus tard, que reste t' il de part et d'autres de l'océan ? 
Issus de familles catholiques, nous avons l'un comme l'autre vu nos églises se vider au fur et à mesure que notre intérêt pour ces préceptes désuets s'essoufflait. 
Aux Marquises, nous nous retrouvons catapultés dans une croyance rajeunie, vivante, entraînante. 
Tout est alchimie entre la culture ancestrale et les fondements téléportés par le Vatican. 
Déjà l'église elle même est un bijou de mixité. Les croix marquisiennes tutoyent le crucifix. L'enfant Jésus dans les bras de sa mère est représenté tel un tiki avec un uru (fruit de l'arbre à pain) dans les bras. Les hommes et femmes qui officient ne sont pas du clergé. Employés de mairie, cultivateur... ils supplantent avec talent le prêtre multi îles. 
Chemises à fleurs sous la soutane, tiare à l'oreille, dentelle à profusion dans l'assistance, le décor est posé. Les guitares sont accordées. Le tambour ancestral est au premier rang, prêt à donner le tempo des chœurs envoûtants. Le silence se fait. Lorsque la cloche sonne, nous sommes transportés pour plus d'une heure de cérémonie entre chants, musique et recueillement. 
Tout en marquisien. Nous ne captons que quelques Amen et Alléluia mais cela ne nous empêche pas d'être en communion avec cette assemblée de tous âges. 
À la sortie de l'office, tout le monde vient nous saluer, nous embrasser, nous souhaiter un Joyeux Noël même les grands gaillards aux visages tatoués.
Nous étions les seuls Popa'a/Haoe (étrangers) au village en ce 24 décembre. Nous ne nous sommes pas sentis esseulés une seule seconde nourris d'énergie sublime distillée par grandes bouffées. 
Nous ne nous sentons pas non plus hors du monde, comme disent ceux qui se prennent pour le monde.
Au delà de la mer, au delà du temps, polaroïds inoubliables d'un Noël outre tai.




Au delà des cercles fermés 
Quant à la célèbration du passage de la nouvelle année, ne souhaitant pas abuser des invitations réitérées de nos hôtes, nous avons décidé de le passer dans une baie isolée de cette même île.
Nous sommes 4 bateaux copains. Nous réveillonnerons ensemble... 
Un puis deux bateaux ''étrangers'' viennent partager le mouillage. Qu'à cela ne tienne. Tous à bord de Ti'Amaraa ce soir. 
Inspirés par la générosité polynésienne ambiante, nous ne pouvons nous imaginer festoyer à quelques mètres d'équipages oubliés. Un shoot supplémentaire de ce que le chercheur américain James Andreoni appelle le warm-glow. Pratiquer l'altruisme permet de ressentir cette ''lueur chaude'' au plus profond de soi. Essayez... Attention, c'est addictif...


Ainsi, mouillés dans quelques mètres d'eau émeraude, face à l'une des plus belles plages des Marquises, déconnectés des réseaux, entourés de notre famille de la mer et de charmants équipages inconnus, nous avons trinqué au grand sablier, légataire du Temps. 
Point de résolution, point de changement de cap.
En route pour 2019.
Qui sait ? Une année au delà de nos espérances ? 
Une année pour sûr 100% Polynésie nous attend. Certains ont déjà leurs billets pour venir nous rejoindre. 

L'année s'annonce belle 💙.

Venez dans notre outre mer !!


''La folie suprême n'est elle pas de voir la vie telle qu'elle est et non telle qu'elle devrait être"
Cervantes












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